Notre invité du jour est Hughes Léglise-Bataille. Il a découvert la photographie en 2005 un peu grâce à Flickr et il s’est orienté très rapidement vers la photographie de rue et le photo-journalisme en couvrant l’actualité en France campagne présidentielle, campements des mal-logés, émeutes de la Gare du Nord, occupation de la Bourse du Travail par les sans-papiers ou manifestations lycéennes, et à l’étranger : G8 en Allemagne, flamme olympique à Londres, élections au Pakistan et référendum en Bolivie. Ses photos sur Flickr sont rapidement remarquées par plusieurs médias (Le Monde, Le Figaro, LCI) comme exemple de journalisme citoyen. Je vous invite à lire son profil complet pour lire ou voir toutes ses références:
Et j’en profite pour remercier au passage Pierre Bonnafy qui a choisit Hugues pour lui passer le relais sur ce blog il y a quelques temps.
1. Je sais que cette question est difficile mais si vous ne deviez conserver qu’un seul appareil photo, ce serait lequel ?
Hughes Léglise-Bataille : La logique voudrait que ce soit le plus polyvalent, et en même temps, c’est parfois avec le matériel le plus simple que l’on se sent le plus à l’aise. En outre, le matériel m’intéresse assez peu, et les discussions sur les mérites respectifs de tel ou tel boitier ou objectif m’ennuient à mourir. A aujourd’hui, j’utilise le Nikon D700, avec un 24-70mm pour 90% de mes photos, et j’en suis très content, mais à l’avenir, j’aimerais évoluer vers du matériel plus léger et discret, tout en restant performant et robuste, probablement en argentique puisqu’il n’exuste pas encore d’équivalent en numérique.
2. Une autre question difficile (peut être)? Dites nous quelles sont vos photos préférées sur Flickr et pourquoi vous les appréciez.
Hughes Léglise-Bataille : Au préalable, je trouve important de faire une distinction entre images uniques et séries d’images. On a trop souvent tendance, par facilité, à ne retenir que des images isolées, mais la réelle qualité d’un photographe se juge plus sur sa capacité à produire un travail cohérent dans la durée. Tout le monde peut faire une très bonne photo ; ce qui est dur, c’est d’en faire régulièrement, en développant un style. Ne retenir de Cartier-Bresson, pour citer un des photographes les plus connus, que sa photo de la gare St Lazare, est extrêmement réducteur (de même que le portrait du Che pour Burri, ou le baiser de l’hôtel de ville pour Doisneau, etc, etc.). En outre, sans doute de par mon goût pour le photojournalisme, j’ai tendance à plus apprécier une série de photos racontant une histoire (le “photo essay”) qu’une photo isolée, souvent caricaturale quelles que soient ses qualités intrinsèques.
On démarre par votre galerie..?
L’editing est le cauchemar du photographe et je ne fais pas exception à la règle ! Mais bon, j’ai réuni dans 2 albums une sélection de mes photos préférées, en N&B et en couleurs, que j’essaie de tenir plus ou moins à jour. En N&B, j’aime bien celle-ci, prise pendant les manifestations lycéennes, pour son dynamisme et sa proximité de l’action, et cette autre, comme photo de rue, pour le moment et la composition. En couleurs, cette photo d’affiche comme déchirée par le rasoir de la publicité me plait pour son caractère inattendu, tandis que cette photo de Cuba mêlant volley et basket de rue, outre sa composition, possède cet accident imprévisible de juxtaposition des 2 ballons qui fait parfois le charme de la photo (la chance !).
En terme de série, la plus aboutie à mon sens, même si elle est loin d’être la plus populaire (!), est celle de la visite du pape Benoit XVI à Paris et Lourdes (Au nom du père). J’aime bien celle des Emeutes de la Gare du Nord, tandis que d’autres mériteraient un editing plus serré, comme les élections au Pakistan, le contre-sommet du G8, le Droit Au Logement, ou le mouvement anti-CPE.
Et maintenant les photos des autres membres Flickr ?
Là encore, un choix cornélien ! Il y a d’excellents photographes sur Flickr, même si la plupart sont bien cachés, loin des concours de popularité et des classements d’Explore ;-) Certains se trouvent notamment sur le groupe HardCore Street Photography (HCSP pour les intimes !), avec des discussions passionnées et passionnantes (en anglais cependant), où l’on a même vu certains photographes de Magnum intervenir à l’occasion !
Dans cette sélection, j’ai voulu montrer les 2 types de photographie que je préfère: la “photo de rue” d’un part, et le photojournalisme d’autre part, les 2 ayant en commun une certaine “éthique” (pas de manipulation ni de mise en scène, proximité du sujet) et des conditions de travail souvent difficiles nécessitant coup d’oeil, patience et rapidité, et capacité d’adaptation. Par ailleurs, résumer un photographe à une photo n’a à mon avis pas
beaucoup de sens, donc même si je me prête au jeu en choisissant une
image, allez voir le reste de leur travail !
Quelques “street photographers” de talent tout d’abord:
Des talents reconnus comme David Solomons et Niels Jorgensen, tous deux présents sur le site www.iN-PuBLiC.com, une référence en la matière. David est plus prolifique que Niels, mais tous 2 sont excellents, comme sur ces exemples :
Dans un style assez proche, j’adore aussi Paul Russell et son humour. A mi chemin entre la photo de rue et la photo documentaire, le travail du polonais Maciej Dakowicz est remarquable, et notamment sa fantastique série sur un pub de Cardiff.
Plus classique dans son approche, le photographe brésilien Roberto Delduque, avec des clichés qu’Henri Cartier-Bresson ne renierait sans doute pas:
D’ailleurs, Roberto est l’auteur d’un document historique du grand maître, lui qui ne voulait jamais être pris en photo !
Restons au Brésil avec l’impressionnant travail du catalan Carles Solis, notamment la série pleine de poésie “Entre arvores e esquecimentos” (entre les arbres et l’oubli) dont est extraite la photo suivante :
Dans un style également classique, un autre Robert, Croma, qui excelle non seulement dans une veine “humaniste” (http://www.flickr.com/photos/croma/373438550/) mais également en photojournalisme, comme ce témoignage du massacre de Tienanmen :
Le portugais Alberto Monteiro est lui aussi représentatif de cette école humaniste avec également de très beaux portraits, du documentaire, et de la photo de “rue”, comme dans cette série “Sea and People“:
L’allemand Andreas Kaiser est difficile à classer, avec un travail sensible et intimiste tout en noir & blanc :
Dans un style très différent, Ralph (aka. Jinju), qui vit en Corée, poursuit également un travail sur le quotidien et l’intimité, en parallèle avec des photos plus conceptuelles et également de la photo de rue. Un regard très personnel et un grand sens de la composition, qui lui ont valu d’être représenté sur le nouveau site de David Alan Harvey (“Burn“).
Adrian Mealand (aka. Mexadrian) vit lui à Mexico, et il tellement bourré de talent que c’en est agaçant ! Des portraits époustouflants, des reportages au plus près (les “dark houses” de Curaçao par exemple), en couleurs ou en N&B, incontournable.
Pour continuer dans une veine documentaire, la série d’Alan Dejecaccion sur les enfants de la rue aux Philippines mérite qu’on s’y attarde, de même que celle Lung S. Liu sur la vie quotidienne à Bangkok, ou encore celle de Shehzad Noorani sur les “filles de l’ombre” au Bangladesh. Parfois très cru mais révélateur, le travail de David Gillanders sur l’Ecosse, primé à Visa sur l’Image, peut aussi être vu sur Flickr, ainsi que celui de Claire Martin sur le Downtown Eastside de Vancouver. Enfin, pour que l’on ne m’accuse pas de ne montrer que du N&B, un peu de couleurs avec Kendrick Brinson et notamment son reportage très émouvant sur la petite Diana, une fillette de 5 ans atteinte d’un cancer du foie.
Voilà, ce ne sont que quelques exemples parmi d’autres, à vous d’explorer !
3. Quel conseil donneriez vous à quelqu’un qui débute dans la photographie ?
Hughes Léglise-Bataille : En vrac, quelques conseils qui sont plutôt du bon sens:
-Réaliser que la technique est extrêmement simple puisqu’il n’y a finalement que 2 paramètres à maitriser: la vitesse et l’ouverture !
-Prendre beaucoup de photos, et en regarder encore plus ! L’oeil s’éduque, et il n’y a pas de meilleure école que de feuilleter les livres des “grands”.
-Sortir de chez soi, et être curieux. La photographie est un formidable outil de découverte et de partage du monde, et un langage presque “universel”.
-Faire attention à la lumière. Observer comment la lumière se reflète,
comment elle évolue selon l’heure et les saisons, comprendre les
différents types de lumières artificielles, etc. Faire de la lumière
son alliée, pas une ennemie contre laquelle on lutte.
-Apprendre à composer. Les appareils seront peut être capables
d’exposer “proprement” n’importe quelle scène, mais il n’y aura jamais
aucun bouton capable de composer à la place du photographe. La
composition est dans la plupart des cas la base, la fondation d’une
bonne photo, que rien ne peut rattrapper ensuite.
-Oublier les auto-portraits, les couchers de soleil et les arcs-en-ciel, les macros d’insectes et de fleurs, et les photos de votre chien ou chat ! A moins de s’appeler Elliott Erwitt, bien sûr ;-)
-Ne pas abuser des “effets” (saturation ou désaturation, vignettage, solarisation, traitement croisé, etc. sans parler des HDR et autres): si vous ne savez pas faire la pâte de votre gâteau, rien ne sert d’y ajouter de la chantilly, des cerises confites et des pépites de chocolat !
Une anecdote pour finir: un ami, alors qu’il était encore adolescent et passionné de photo, a eu la chance de déjeuner avec Cartier-Bresson, sans même savoir qui il était (sinon un photographe “professionnel”). Après avoir conversé avec lui et regardé quelques-unes de ses photos, le maître prit finalement congé avec pour seul conseil ces 2 mots: “structure et harmonie”. A méditer ;-)
4. Lorsque nous interviewons des candidats chez Flickr, nous leurs posons systématiquement cette question un peu spéciale : chatons, bébé, sunset ou fleurs? Choisissez un thème.
Hughes Léglise-Bataille : Les bébés, car je viens d’en avoir un !
5. Selon vous à quel autre membre Flickr devrions nous poser cette série de 5 questions ?
Hughes Léglise-Bataille : Beaucoup de noms me viennent à l’esprit, et je trouve assez injuste d’en mettre un en avant, mais puisqu’il faut jouer le jeu, et pour rester en France, je recommande Emmanuel Smague. Un travail de très grande qualité, à la fois rigoureux et tout en finesse, dans la veine des photographes humanistes et voyageurs.