Dans ce volet de notre série Regard de photographe, nous sommes fiers de vous présenter Xavier Arpino. Son parcours est inspiré de l’univers de la photographie en noir et blanc et argentique. Comme les grands photographes qu’il admire, il a voulu "enregistrer en un instantané un témoignage de la grande Histoire mais aussi, et peut être surtout, de la petite, celle de la vie, la poésie, la joie, la souffrance, les choses simples et essentielles". La poésie de ses photos est saisissante au premier regard.
Merci Xavier pour cette interview !
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Bonjour à tous ! J’ai 40 ans. Je suis chef opérateur en documentaire vidéo, c’est mon métier, et photographe, par nécessité artistique.
Depuis combien de temps fais-tu de la photo et comment est née ta passion pour la photographie ? Quel a été le déclic ?
J’ai commencé à photographier à l’âge de 15 ou 16 ans. Mon père avait un agrandisseur. Il faisait des photos en noir et blanc. Je l’observais faire, dans la pénombre de cette lumière rouge tout ce travail de laboratoire. C’était incroyable ! J’ai passé longtemps sans savoir encore que j’allais devenir accro à cette activité, et puis un jour un déclic est né. Je me suis mis à faire des photos afin d’utiliser moi aussi cet agrandisseur et ces bains de produits magiques.
Le travail de laboratoire noir et blanc est un apprentissage puissant de la photo. On maîtrise petit à petit cet aller-retour entre l’impression de la pellicule et la transmission à travers cette pellicule développée sur le papier. On a donc doublement accès à la maîtrise de la lumière.
On progresse plus vite – je pense – car lorsqu’on est en situation de prise de vue, on est aussi déjà un peu dans le labo. En autodidacte, j’ai aussi reproduit souvent les mêmes erreurs, du moins pendant un temps, mais je ne regrette pas cette approche longue et évolutive que j’ai eue.
En parcourant ta galerie, nous découvrons de nombreuses et très belles photos de rue. Qu’est-ce qui t’a donné envie de prendre ces photos ? Ont-elles une signification particulière pour toi ?
Ma culture de l’image s’est probablement construite d’abord avec le cinéma, les films qui passaient à la télé, notamment ceux en noir et blanc qui m’attiraient particulièrement quand j’étais enfant : Chaplin, Hitchcock etc. Puis, j’ai découvert les grands photographes au travers de livres et de revues : Henri Cartier-Bresson, Robert Capa, Robert Franck, Sebastiao Salgado, entre autres, et j’ai voulu – je pense – faire comme eux, enregistrer en un instantané un témoignage de la grande Histoire mais aussi, et peut être surtout, de la petite, celle de la vie, la poésie, la joie, la souffrance, les choses simples et essentielles que tous les être humains traversent.
La rue est le théâtre parfait pour cela, c’est le quotidien de ceux qui vivent à cet endroit. La rue est “vivante”, car elle contient une mémoire sur le sol, sur les murs, qui évolue, et aussi comme une veine dans un corps, elle est une activité sans cesse renouvelée.
Lorsqu’on se place à un certain endroit, à un certain moment, quelque chose arrive, un personnage sort de la foule et c’est lui qu’on attendait…
Un peu de chance est nécessaire comme la présence particulière de la lumière naturelle. On doit aussi provoquer cette chance, ça ne marche évidemment pas toujours, mais il s’agit d’une équation complexe entre ce que l’on cherche à photographier (et qui n’est pas forcement explicable) et ce qui se passe parfois à coté, ou derrière nous, ou plus tard. Il est bon de retourner d’ailleurs plusieurs fois dans les mêmes lieux. Le temps est un allié de la photographie. La marche est le meilleur vecteur pour cette photographie-là, mais le vélo peut être aussi une bonne option, la voiture ou le bus parfois, et j’aime beaucoup aussi le train qui est un travelling permanent.
Comment décrirais-tu ton travail et ton style ?
Je pense être dans une lignée de photographes classiques, de photo-reportage à contrario de la photo de studio et de mise en scène. À la recherche de situations simples de vie, de témoignages de ce que nous sommes. J’aime être surpris par une ambiance, ou être dans une situation qui ne prédisposait pas à la photo, et sortir l’appareil parce que quelque chose m’a rappelé à cette fonction. J’imagine aller à un endroit pour faire des photos, et c’est en chemin, en fait, que le sujet se trouve.
Quels sont tes réglages préférés ? As-tu une technique particulière ?
J’utilise depuis presque toujours un Nikon F301 (j’en suis à mon troisième, car ils vivent certains accidents : eau de mer, chute, etc.).
J’ai travaillé pendant quinze ans avec une seule optique, le 24 mm, car elle me permettait de voir ce que j’avais besoin de voir dans le cadre, c’est-à-dire un peu plus que le champ de nos yeux. D’une certaine manière, je crois que ça me distanciait suffisamment du monde pour avoir une forme de recul et d’intégration simultanée, et aussi d’être suffisamment correct pour travailler près des gens sans subir trop la déformation optique. Au bout d’un moment, on sait comment l’utiliser pour être frontal et ne pas déformer les visages de façon grossière. Je n’ai jamais vraiment aimé les zooms. Le rapport physique au cadre et au déplacement est un acte tellement puissant à vivre.
Depuis trois ans environ, j’ai mis de coté le 24mm, et je suis passé au 50mm, et je m’en tiens à lui uniquement. Lorsque mon matériel ne peut pas prendre la photo, alors c’est qu’il n’y a pas de photo à faire pour moi. Il est important d’explorer et maîtriser son système plutôt que de passer un temps fou avec un matériel lourd et complexe qui prend du temps et de l’énergie.
Je travaille avec la même pellicule noir et blanc depuis plus de quinze ans : la fameuse Tri-X 400, qui est vraiment d’une latitude incroyable sous presque toutes les lumières, et aussi avec la Fuji Velvia 50 ou 100 Asa en couleurs que j’aime pour sa capacité à saturer les tons dans la direction des températures vert-bleu froides. L’avantage d’avoir intégré une pellicule, et toujours la même, c’est que même s’il vous arrive une panne de cellule, vous pouvez savoir à peu près où vous êtes.
Utilises-tu des équipements qui sortent de l’ordinaire, par exemple des accessoires que tu as fabriqués toi-même ou que tu as transformés ?
Non jamais.
Quelles sont tes méthodes de traitement des images après la prise de vue ?
Je scanne mes films avec un scanner à bande, et j’utilise Photoshop pour retrouver la différence que le scanner peut produire et pour une forme de tirage numérique, tel que l’on peux faire en labo traditionnel, masquer et “faire monter” des zones, pour ce qui est du noir et blanc.
Qu’est-ce qui te plaît le plus sur Flickr ? Qu’est-ce qui t’a donné envie de partager tes photos sur le site ?
L’idée du partage, et du commentaire m’a plu. J’ai fait de très belles rencontres sur Flickr, notamment à propos d’une photographie que j’avais prise à Belgrade dans la zone qui avait été bombardée par l’Otan. Une photographe de Belgrade m’a alors répondu qu’elle vivait dans ce quartier et m’a raconté ce qui s’était passé de son point de vue lorsque ces bombardements ont eu lieu. C’est une rencontre Web qui m’a marqué. J’ai parfois eu envie de rencontrer en vrai des photographes de Flickr, mais ça n’a jamais pu se faire.
Y a-t-il un autre membre de Flickr, ou d’un groupe Flickr , qui t’a inspiré ?
Peut-être… certainement à un moment… mais je ne pourrais vraiment le certifier, ni dire qui…
Quelle est ta photo de cœur (parmi les tiennes), et pourquoi ?
Oui, celle ci…
Ce que j’aime dans cette image c’est que le mystère demeurera… Je me souviens d’avoir été en voiture dans le centre de la France, je ne me suis jamais souvenu où précisément, et d’avoir stoppé la voiture, aussitôt le regard arrêté sur ce mur. Je me souviens bien de cette sensation, une sensation assez rare, comme si on découvrait un trésor. Il y a un écho sans fin sur cette photo.
Quelles sont les trois photos d’autres membres de Flickr que tu admires le plus, et pour quelle raison ?
Une scène insolite, d’une grande énergie, qui me donne un rictus à chaque fois, comme si j’y étais… Une captation incroyable, observée, rêvée et réalisée. On entend immédiatement le son qui l’accompagne.
Antonio Palmerini
https://www.flickr.com/photos/65776569@N03/13876641684/
Une forme de photographie que je ne fais pas, que je ne saurai pas faire et qui me rappelle, de Hooper à Bacon en passant par Munch, une peinture que j’aime.
On ne sait quand et où nous sommes. C’est une image qui aurait pu être prise il y a dix siècle si la photo existait. J’aime la texture et le cadre. J’ai gardé longtemps cette image comme fond d’écran de mon ancien ordinateur…
De l’espace et du rêve.
Si tu avais un secret à partager à propos de la photographie, quel serait-il ?
Je ne pense pas que ce soit un secret, mais c’est un peu le mien. La photo est née argentique, avec un délai entre sa prise de vue et le moment ou elle réapparaît, avec un nombre restreint de prise de vue sur une bobine.
Je crois que ces deux phénomènes sont une bonne définition pour moi de ce qu’est la photo. En tout cas, personnellement, ce sont des paramètres que je juge vitaux. J’aime cet espace de temps qui m’indique une vraie valeur de la photo, et me donne sans cesse l’envie de continuer.
“Dans cinq ans, tu seras…”
Avec un nouveau boîtier Nikon f301, je pense…
À marcher dans une rue du Yemen, j’espère…
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Un grand merci pour tes réponses à notre interview Regard de photographe !
Pour voir toutes les photos de Xavier, rendez-vous sur sa galerie Flickr.