5 Questions à Kevin Saborit-Guasch

Notre invité du jour est Kevin Saborit-Guasch (alias “sparadrap” sur Flickr) qui est l’une des sources d’inspiration de Gueorgui Tcherednitchenko – précédemment interviewé sur ce blog.

C’est devenu une petite habitude ici, je laisse Kevin se présenter en quelques mots. Bonne lecture (le billet est un peu long aujourd’hui mais la sélection est encore une fois de qualité)!

Kevin Saborit-Guasch : Alors qui suis-je ? Déjà, j’ai 26 ans (comme Gueorgui, tiens), je vis à Bordeaux avec ma copine et sa fille (qui devrais avoir un compte pro d’ici un an ou deux) mais je viens du Nord de la France, là-haut, tout contre la Belgique. J’ai un travail classé secret défense (si, si) qui paie le SMIC histoire de payer les factures et quelques pellicules à la fin du mois.

“When I look at sparadrap’s photos, I am usually left scratching my head wondering why he is on Flickr and not working for Rolling Stone/Time/Life magazine. His photos are so amazingly professional looking, I don’t even feel good enough to fave them…” x99elledge

1. Je sais que cette question est difficile mais si vous ne deviez conserver qu?un seul appareil photo, ce serait lequel ?

Kevin Saborit-Guasch : Mes yeux.
Je prends autant de plaisir (si ce n’est plus parfois) à photographier avec un pauvre bout de plastique chinoise rafistolé avec du gaffer tape rouge qu’avec un gros EOS 1Ds MkIII avec une optique L à bande rouge dessus. Et puis sinon, en cas de grosse galère, je peux toujours bricoler un sténopé avec une boîte de thé (Twining’s pour ne pas le nommer) et deux-trois trucs qu’on trouve dans tous les magasins de bricolage.
Après, ça ne veux pas dire que je ne suis pas attaché à certains appareils plus qu’à d’autres. Surtout, qu’en bon gros geek photo de base je les accumule de façon régulière de toute façon. Le jour où le XA que j’avais trouvé au hasard des rues d’Utrecht a cessé de fonctionner, je me suis retrouvé tout perdu, presque comme si il me manquait une part de moi-même. Alors que le jour où l’obturateur de mon premier reflex numérique (un bon vieux 10D) a fini sa longue agonie, j’étais bien embêté mais pas plus touché que ça, en fait.
J’ai aussi une étrange relation avec mon Holga, qui peut passer des années à prendre la poussière mais qui finit toujours par resservir un jour ou l’autre.
Sinon, j’aimerais bien une chambre technique (genre Alpa ou Arca Swiss) et un Mamiya RB-67 pour un projet qui me trotte dans la tête depuis un mois ou deux.

2. Une autre question difficile (peut être?)? Dites nous quelles sont vos photos préférées sur Flickr et pourquoi vous les appréciez.
On démarre par votre galerie..?

Kevin Saborit-Guasch : Ca c’est effectivement moins facile. D’abord parce que dans ma galerie à l’heure actuelle, il y a près de 2500 photos qui se sont entassées au fur et à mesure parce que je ne suis pas toujours un grand fana du tri. Il y a eu quelques tentatives de rangement, mais le plus simple ça a été de tout foutre en privé et recommencer à presque zéro. Ceci dit, il y en a quand même quelques unes que j’aime bien, vieilles et moins vieilles. Promis, un jour je rangerais ma chambre mieux que ça.

Terrie

Souvent, les portraits qui me marquent le plus sont ceux qui portent la trace d’une rencontre particulière. Là, par exemple, il s’agit de Terrie Ex, qui joue de la guitare dans le groupe néerlandais The Ex, a traversé toute l’Afrique jusqu’à l’Éthiopie via le Cap de Bonne Espérance seul en voiture et partage toutes sortes de musiques du monde et improvisées via son label Terp Records. En dépit de tout cela, il est effroyablement modeste et n’aime pas trop se faire prendre en photo hors scène. Sur scène, par contre, il est comme un grand gamin. Je ne compte plus le nombre de fois où il m’a bousculé pour de rire avec son manche de guitare, un grand sourire aux lèvres et l’air d’être la personne la plus heureuse du monde gravé sur son visage. Ses bear hugs couverts de sueur post-concerts et ses grandes bourrades amicales me font toujours autant plaisir, tout comme l’entendre dire « Amazing » cinq fois par minutes.

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Pour celle-là, il s’agit juste d’un bon moment passé en compagnie d’un groupe de musiciens marocains de tradition gnawa. J’ai toujours privilégié la lumière « naturelle » à la lumière artificielle (je dois avoir la flemme de bosser avec plus de matos), ce qui se traduit souvent par une bataille permanente pour obtenir une lumière juste assez correcte pour avoir des portraits à peu près nets, surtout au moyen-format. Là, par contre, c’était le coup de bol, murs blancs et grande fenêtre et une belle lumière de matinée ensoleillée de novembre (à Lille-Moulins, c’est pas courant). 1/125e à f/4 pour ma Tri-X à 800 ISO. Nickel. Le jus d’orange fraîchement pressé c’était juste la cerise sur le gâteau.

Yuma Joe Byrnes - Enablers

L’air facétieux de Yuma Joe du groupe Enablers, dans une des salles de classe d’école maternelle qui sert de backstage pendant le festival Rhâââ Lovely, à Cortil-Wodon en Belgique. J’assistais un ami photographe qui parle moins bien anglais que moi et pendant ce temps-là, j’ai pris deux-trois vues avec mon XA. Le pur coup de bol juste après une de mes plus grosses claques musicales de 2008.

Forcément, de fil en aiguille, les portraits de musiciens m’amènent à mon premier amour qui est la photo de concert. J’en fait beaucoup moins, et plus de la même façon (normal, après cinq ans intensifs devant des scènes de Vancouver, Indio, Montréal, Bruxelles, Paris, Lille, Lyon ou Amsterdam), mais lorsqu’il s’agit d’artistes dont la musique m’a marqué, en général, il y a toujours quelque chose qui en ressort.

lean left

Ca par exemple, c’est l’antithèse de la photo de concert traditionnelle, bien nette et cadrée au téléobjectif de loin. J’étais aux Instants Chavirés de Montreux, pour le concert d’une formation éphémère regroupant Terrie Ex, Andy Moor, Paal Nilssen-Love et Ken Vandermark. J’étais en train d’essayer de m’approcher de l’esthétique des captures vidéos de concert de Jem Cohen (courez voir Instrument, sur Fugazi, et Building A Broken Mousetrap, sur The Ex). Ironie du sort, j’ai appris trois jours après le concert que nous étions côte-à-côte dans le public. La vie est quand même bizarrement foutue. Jem, si tu lis ça, j’adore ce que tu fais.

Dirty Three

Warren Ellis de The Dirty Three. Que dire d’autre. Ah si, mon amie Amélie faisait la première partie ce soir-là, et c’était vraiment génial pour elle.

Heavy Trash

Jon Spencer. Une autre des légendes dont j’ai pu m’approcher l’espace d’un (très bref) instant. J’étais au 50mm, et sur un capteur full-frame ou en 24×36, c’est pas très long, comme focale. Ce qui implique, si on veut faire du serré, d’être près, très près. Là, Jon s’est agenouillé devant moi, comme en transe. Le temps de déclencher deux fois et il s’était relevé. J’avais mes deux meilleures photos de toute la pellicule.

Et puis il y a le festival de Dour.

The Last Arena

bring da muthafuckin' ruckus    .

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24 hour party people

C’est un peu là que j’ai fait mes armes de photographe de foule, je crois.

Sinon, les images que je préfère sont rarement celles qui génèrent plein de trafic. Surtout sur mes projets plus personnels. Par exemple, dans Superheroes of BMX, une série d’images sur le monde du BMX race et freestyle sur laquelle je bosse plus ou moins constamment depuis quelques années, cette image-là a fait un carton :

everybody's talking 'bout a stormy weather

Alors que moi je tiens plus à des images comme celles-ci…

i want to ride my bicycle    jelle // deep end

…qui en disent plus loin selon moi même si elles sont moins spectaculaires d’apparence. Le grand spectacle et les effets spéciaux m’attirent relativement peu.

Après, comme la quasi-totalité des photographes, amateurs ou pro, j’aime sortir de mes sentiers battus et aller voir ailleurs dès que j’en ai la possibilité. Sauf que dans mon cas, il s’avère souvent que le trajet est tout aussi intéressant que la destination.

Trans Canada Highway [7] Something's Gotta Give

Avec une très bonne amie, nous avions en tête de traverser le Canada par la TransCanada Highway pour voir les Prairies. Ce qui passa de rêve à réalité fin mai 2004 lorsque nous embarquâmes dans un Greyhound pour un voyage qui allait durer 70 heures et dont j’ai fait le récit dans ce set :

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Ici, un simple train manqué pour revenir de Brasov en Transylvanie jusqu’à Bucarest est devenu l’occasion de m’occuper et d’essayer d’oublier une migraine terrible en photographiant tout ce que je pouvais dans la gare et à bord du train, ce qui est devenu la série Schlafwagen. Une fois de plus par ironie, vu que je n’ai pas fermé l’?il de tout le trajet.
J’ai quand même ramené quelques bonnes images de Bucarest, dont une série de panoramiques de fortune sur les innombrables travaux qui émaillaient alors la ville.

santier in lucru [1]

Et maintenant les photos des autres membres Flickr ?

Je pourrais passer des heures à remonter mes favoris et redécouvrir constamment des perles visuelles dont j’avais oublié l’existence. J’ai le clic facile mais il y en a peu que je regrette d’avoir ajouté à mes favoris. Il y en a plein, alors je vais me limiter à ceux avec qui j’ai un rapport plus développé que juste sur Flickr et à quelques autres. Désolé pour les autres mais sinon j’en ai pour des jours et des jours.

Dernière boum avant la fin du monde

Niels, le leader of the new school. 21 ans et déjà représenté par l’agence Rezo et attend son 5D Mk II avec impatience. Je le hais secrètement.

solitude

L’alter-ego de Niels. Il va à l’ECAL, une des écoles d’art les plus côtés d’Europe. Lui aussi je le hais.

my brightest diamond

Vinciane, ma camarade de Caliméro. Une portraitiste comme on en fait plus. Et puis je la déteste aussi, en fait.

Blue Sands

IZO, alias Mathieu Drouet, alias Le Sergent Gros Mort. Je reparle de lui dans pas longtemps. Des fois, il m’énerve. Souvent en fait.

G.W. Sok

Shawn Brackbill a tiré le portrait des plus grands de la scène indie américaine et bien d’autres. Il a fait la couverture de Different Damage du groupe de DC Hardcore Q And Not U et pour ça je le déteste. C’est un de mes albums préférés.

    

La nouvelle école britannique. Alex, Harry et Jamie travaillent tous au Leica, sont entourés de gens jeunes, beaux et insouciants qu’ils documentent de façon sublime et ils ont toute leur jeunesse devant eux. Idem que les autres.

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Impossible de choisir entre ces deux photos de Gareth jelly alias Scribeoflight. D’ailleurs, je pourrais en mettre bien d’autres, mais je n’ai pas encore eu le temps de digérer ses photos les plus récentes, surtout que maintenant il tient en plus un blog et a la mauvaise habitude de poser les questions qui font se creuser le cerveau longtemps.

Pour finir, il y a Gueorgui, qui en plus d’avoir un nom imprononçable et impossible à orthographier, m’oblige à passer mon dimanche soir à taper cette interview. Donc même verdict que pour les autres.

3. Quel conseil donneriez vous à quelqu’un qui débute dans la photographie ?

Kevin Saborit-Guasch :
Mon conseil est sur mon profil et c’est apparemment l’une des raisons pour lesquelles Gueorgui m’a choisi pour lui succéder dans cette série d’interviews. C’est une citation de Rilke, dont je ne dispose malheureusement ni de l’original en allemand ni d’une traduction en français.

No one can advise or help you?no one. There is only one thing you should do. Go into yourself. Find out the reason that commands you to write; see whether it has spread its roots into the very depths of you heart; confess to yourself whether you would have to die if you were forbidden to write. This most of all: ask yourself in the most silent hour of your night: MUST I write? Dig into yourself for a deep answer. And if this answer rings out in assent, if you meet the solemn question with a strong, simple ?I MUST,? then build your life in accordance with this necessity; your whole life, even into its humblest and most indifferent hour, must become a sign and witness to this impulse. Then come close to nature. THEN, AS IF NO ONE HAD EVER TRIED BEFORE, TRY TO SAY WHAT YOU SEE AND FELL AND LOVE AND LOSE.

En gros c’est d’écouter ses tripes et de ne pas chercher à faire quelque chose qui ne corresponde pas profondément à sa personnalité. Les techniques et les méthodes passent de mode aussi vite en photographie que dans les autres domaines de la vie courante. C’est bien beau d’essayer d’obtenir le même résultat que Dave Hill, mais pour moi trouver une voix personnelle est bien plus important.
Oh, et ça aide d’avoir une paire de bonnes chaussures.

4. Lorsque nous interviewons des candidats chez Flickr, nous leurs posons systématiquement cette question un peu spéciale : chatons, bébé, sunset ou fleurs? Choisissez un thème.

Un dimanche...

Kevin Saborit-Guasch : Celle-là est très facile, en comparaison. Je vis avec ma copine et sa fille qui vient d’avoir trois ans, donc de la photo de bébé (enfin de petite fille qui grandit vite, très vite), j’en fait plein, vu que chaque jour apporte son lot d’épiphanie, de découvertes et de fous rires couverts de mousse au chocolat. Donc bébé.

5. Selon vous à quel autre membre Flickr devrions nous poser cette série de 5 questions ?

Kevin Saborit-Guasch :
Facile aussi. Sans Mathieu Drouet, je ne serais sûrement pas sur Flickr. A la base, nous étions camarades de jeu sur un site qui s’appellait (et s’appelle toujours j’imagine) photoblog.be, et puis quand Mathieu est parti vers Flickr, j’ai été obligé de suivre parce que je m’ennuyais de l’autre côté. Sans lui, je ne ferais définitivement pas les mêmes photos aujourd’hui. Je lui dois beaucoup. Beaucoup.